Les inégalités sociales générées par le système de retraite français
Le système de retraite français, bien que conçu pour assurer une certaine équité et sécurité financière aux retraités, cache des inégalités sociales profondes qui affectent significativement la vie des personnes âgées. Dans cet article, nous allons explorer ces inégalités, leurs causes, et les implications pour les retraités, en particulier pour les femmes et les hommes, ainsi que pour les différentes catégories professionnelles.
Les disparités entre les régimes de retraite
Le système de retraite français est composé de plusieurs régimes, chacun ayant ses propres règles et avantages. Ces disparités créent des inégalités significatives entre les retraités.
Régimes spéciaux vs régimes généraux
Les retraités affiliés aux régimes spéciaux, tels que ceux de la SNCF, de la RATP ou de la Banque de France, bénéficient de pensions nettement plus élevées que la moyenne. En 2021, ces retraités percevaient en moyenne 2 550 euros par mois, soit trois fois plus que les exploitants agricoles et 1,5 fois plus que la pension moyenne versée à l’ensemble des retraités de droit direct[1].
Régime de retraite | Montant moyen de pension (euros) |
---|---|
Régimes spéciaux | 2 550 |
Fonctionnaires civils | 2 280 |
Professions libérales | 2 390 |
Régime général | 1 580 |
Exploitants agricoles | 850 |
Fonctionnaires et professions libérales
Les fonctionnaires civils de l’État et les professionnels libéraux sont également mieux lotis. Les fonctionnaires civils percevaient en moyenne 2 280 euros par mois, tandis que les professionnels libérales touchaient 2 390 euros par mois en 2021[1].
Les inégalités entre les femmes et les hommes
Les inégalités de pension entre les femmes et les hommes sont particulièrement frappantes.
Femmes fonctionnaires
Les femmes fonctionnaires civils de l’État sont celles qui touchent les pensions les plus élevées parmi les femmes retraitées, avec une moyenne de 2 100 euros par mois en 2021. Cela représente 1,7 fois plus que la pension moyenne versée à l’ensemble des femmes retraitées de droit direct et trois fois plus que la pension des femmes exploitants agricoles[1].
Hommes professionnels libéraux
Chez les hommes, les retraités des professions libérales sont les mieux rémunérés, avec une moyenne de 2 740 euros par mois en 2021. Ils devancent de peu les hommes affiliés aux régimes spéciaux, qui percevaient 2 700 euros par mois[1].
Les effets des carrières incomplètes
Les carrières incomplètes ou interrompues sont une source majeure d’inégalités dans le système de retraite.
Calcul du salaire de référence
Le calcul du salaire de référence basé sur la moyenne des 25 meilleures années de carrière peut être désavantageux pour ceux qui ont eu des carrières précaires ou interrompues. Cette méthode amplifie les inégalités en faveur des assurés ayant contribué le plus et ayant des carrières continues[2].
Double comptabilisation de la durée de carrière
La double comptabilisation de la durée de carrière pénalise également les personnes ayant des carrières incomplètes. Cette méthode fait que les années de carrière sont moins valorisées, soit par l’application de la décote si la personne part avant le taux plein, soit par la non-application d’une surcote si la personne part après l’âge minimal mais juste au taux plein[3].
L’impact des réformes sur l’âge de départ à la retraite
Les réformes successives du système de retraite ont modifié l’âge de départ à la retraite et les conditions pour obtenir le taux plein, ce qui affecte différemment les retraités.
Âge de départ et taux plein
Les personnes les plus défavorisées, ayant souvent des carrières incomplètes, atteignent le taux plein et liquident leurs droits à un âge plus élevé que les autres catégories de retraités. Ils doivent généralement atteindre l’âge d’annulation de la décote (65 ans jusqu’à la génération née en 1950, 67 ans depuis la réforme de 2010) pour bénéficier du taux plein[3].
Exemples concrets
- Génération née en 1950 : La dernière génération ayant bénéficié de la “retraite à 60 ans” montre que les retraités à plus basse pension ont atteint le taux plein et ont liquidé leurs droits à un âge plus élevé que les autres catégories de retraités[3].
La revalorisation des pensions et son impact
La revalorisation des pensions, ou son absence, joue un rôle crucial dans le maintien du niveau de vie des retraités.
Report de la revalorisation
Le report de la revalorisation des pensions de base du privé et des fonctionnaires du 1er janvier 2025 au 1er juillet 2025, prévu dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS), aura un impact significatif. Cette mesure entraînera une économie de 3,7 milliards d’euros sur le dos des retraités, et la revalorisation sera calculée sur une période où l’inflation est plus basse, ce qui réduira encore le montant de la revalorisation[4].
Impact sur le pouvoir d’achat
La revalorisation des pensions est essentielle pour maintenir le pouvoir d’achat des retraités face à l’inflation. Cependant, l’inflation officielle étant inférieure à la hausse des prix des produits de première nécessité, les pensions ne permettent souvent pas de maintenir le niveau de vie des retraités[4].
Pistes pour améliorer la situation des retraités défavorisés
Pour réduire les inégalités sociales générées par le système de retraite, plusieurs pistes d’évolution techniques et politiques peuvent être envisagées.
Adaptation des règles de retraite
- Calcul du salaire de référence : Réviser le calcul du salaire de référence pour prendre en compte les carrières incomplètes de manière plus équitable.
- Double comptabilisation : Réévaluer la double comptabilisation de la durée de carrière pour éviter de pénaliser les personnes ayant des carrières interrompues.
- Âge de départ et taux plein : Réinterroger les règles d’âge de départ et de taux plein pour permettre aux personnes défavorisées de bénéficier du taux plein plus tôt[2][3].
Minima sociaux et allocations
- Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) : Renforcer les minima sociaux tels que l’Aspa pour assurer un minimum de revenu aux retraités les plus précaires.
- Autres allocations : Mettre en place ou renforcer d’autres allocations pour compenser les inégalités de revenus[5].
Le système de retraite français, malgré ses intentions de justice sociale, génère des inégalités profondes entre les retraités. Les disparités entre les régimes de retraite, les effets des carrières incomplètes, et les impacts des réformes sur l’âge de départ à la retraite sont autant de facteurs qui contribuent à ces inégalités. Pour améliorer la situation, il est essentiel de réviser les règles de retraite, de renforcer les minima sociaux, et de garantir une revalorisation des pensions qui tienne compte de l’inflation réelle.
Comme le souligne Patrick Aubert, “les mécanismes décrits dans ce billet ont pour autant des effets négatifs réels sur la situation des retraité.e.s les plus précaires et gagneraient à être davantage explicités et portés dans le débat public récurrent sur les retraites”[2].
En fin de compte, il est crucial de travailler vers un système de retraite plus équitable, qui prenne en compte les spécificités des carrières et assure un niveau de vie décent pour tous les retraités, quel que soit leur parcours professionnel.